Il n'y a pas de solution militaire au Sahel

Publié le par anonyme

 

La transition pacifique reste à construire à travers une co-construction avec les peuples concernés.
 
Résumé
 
Malgré l’engagement militaire de la France dans la zone sahélienne depuis huit ans, la situation sécuritaire n’est nullement assurée. En n’abordant pas les causes réelles de la situation au Mali et dans toute la région sahélienne [1], le président de la République et le gouvernement français s'enferment dans une vision guerrière conduisant à une militarisation accrue de la région subsaharienne et à nourrir le terrorisme. La sécurité et la paix pour les populations de cette région appellent une co-construction entre les peuples, les institutions internationales telles que l’ONU, le PNUD, pour mettre en œuvre des solutions alternatives mobilisant des moyens financiers et humains importants du bien-être des populations. Ces solutions peuvent s’appuyer sur des programmes internationaux de l’ONU tels que la Culture de la Paix et les Objectifs de Développement Durable (ODD). La France et l'Europe, en liaison avec les Nations Unies, peuvent contribuer à résoudre cette crise qui menace la paix et la sécurité au-delà de la région sahélienne, en faisant preuve de désintéressement, d’un minimum de sagesse, de respect de l’histoire des peuples concernés, d’association des populations à la construction des solutions et dans le respect du droit international et des droits humains. Dans le même temps, les troupes françaises devraient se désengager du Sahel.
 
Développement
 
Malgré l’engagement militaire de la France, depuis huit ans, dans la zone sahélienne vaste comme l’Union européenne, pas un jour ne passe sans attaques armées. Les exactions contre les populations civiles se multiplient (+ de 4 200 morts en 2020 (soit + 60 % par rapport à 2019), prises d’otages d’élèves par centaines, massacre lors d’un mariage, villages détruits, bavures militaires. 57 soldats français y ont trouvé la mort. Plus de 2 millions de personnes ont été déplacées venant grossir des villes déjà ingérables, des surfaces entières ne sont plus cultivées aggravant les problèmes alimentaires déjà chroniques (plus d’un habitant sur 2 au Sahel « vit » avec à peine 1€/ jour), des violences intracommunautaires se développent.
 
La situation sécuritaire n’est nullement assurée malgré les forces militaires engagées par la France, des centaines de millions d’Euros supplémentaires injectés par la France dans les Opex (opérations extérieures) et les augmentations des budgets militaires du pays du Sahel. Si les populations au départ ont pu sembler accepter l’intervention militaire extérieure, elles la rejettent de plus en plus. En n’abordant pas les causes réelles de la situation au Mali et dans toute la région subsaharienne, le président de la République et le gouvernement français s'enferment dans une vision guerrière conduisant à une militarisation accrue de la région subsaharienne.
 
Pour trouver les solutions il faut en premier faire un état complet de la réalité. Or, cette réalité au Sahel, comme dans certaines autres régions d'Afrique, est caractérisée par l’existence d’inégalités de développement énormes entre les pays du Sahel et leurs « partenaires » du Nord. Les déséquilibres, les inégalités sont vertigineuses et sont le résultat de plusieurs centaines d'années de domination par la guerre, le colonialisme ou le néocolonialisme. Ces dominations ont marqué, y compris des institutions souvent trop calquées sur le modèle occidental et sur l'introduction massive et violente de logiques financières, qui ont contribué à la déliquescence de liens sociaux et de la confiance dans les institutions. A cet égard, s’il est temps que la zone du franc CFA soit abandonnée, l’Eco ne semble pas la solution car tous ces pays ont besoin d’une indépendance économique et politique.
 
Sur le plus court terme, il faut avoir le courage de dénoncer les politiques qui, depuis la guerre en Irak et surtout la destruction de la Libye, ont plongé cette région dans les désordres de la guerre, du terrorisme, la désintégration des Etats, les trafics d’armes et le renforcement de tous les radicalismes violents [2]. S'il est vrai qu'un retrait immédiat et total laisserait le peuple malien seul face à la violence des terrorismes et des trafiquants de toutes sortes, la solution ne peut être dans le renforcement de la militarisation [3]. Ce dont ont besoin les peuples de la région, c'est le pouvoir d'être co-constructeur d'un projet global de développement alliant justice sociale, développement économique, démocratisation des institutions et de la société, respect des diversités linguistiques et culturelles, respect des droits humains. C'est la seule manière d'unir et de solidariser les peuples autour de projets ayant comme objectif la sécurité économique, sociale, sanitaire, physique (individuelle et collective), des personnes et de la société, et d'éloigner les sirènes du terrorisme et des radicalismes violents des populations malmenées, soumises à toutes sortes de pressions et ne disposant pas des outils institutionnels démocratiques nécessaires.
 
En fait, ce que n’a pas abordé le président de la République, c'est la réalité des logiques qui sont à l’œuvre dans cette région. Ces logiques résultent essentiellement de la volonté de contrôler et d'exploiter les richesses, en particulier minérales abondantes et stratégiques. Ces logiques sont des logiques de prédation des richesses, de défense d'intérêts économiques ou géostratégiques. Ces logiques n'ont rien à voir avec les intérêts bien compris des peuples du Sahel et du peuple français.
 
La proposition du président de la République d’une nouvelle rencontre avec les chefs d'État du Sahel ne peut remplacer la nécessité d’envisager un règlement international de cette crise en faisant appel aux outils multilatéraux possibles dans le cadre des Nations Unies. Un tel règlement doit prendre en compte la nécessité de résorber les inégalités de développement et les déséquilibres abyssaux mentionnés ci-dessus. De telles solutions multilatérales doivent s’inspirer et viser la mise en œuvre de dispositions prévues dans des résolutions des Nations Unies telles que la résolution sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), celle sur la Culture de la Paix, c'est-à-dire à travers des visées et des mécanismes à moyen et long terme qui participent à la construction d'une paix durable dans cette région, car construite sur des objectifs clairs, définis et mis en œuvre par les peuples avec des institutions adaptées.
 
En privilégiant la militarisation et en ne s'attaquant pas aux véritables causes y compris historiques, en n’apportant pas des solutions politiques, diplomatiques, économiques, sociales et culturelles, prenant en compte les intérêts des populations, c'est la sécurité de la France qui est mise en cause car au lieu de tarir, de vaincre les radicalismes violents, la politique de la France risque de contribuer sans cesse à les régénérer.
La sécurité économique, sociale et le bien-être des populations de cette région appellent une co-construction entre les peuples , les organisations progressistes de la région , les institutions internationales telles que l’ONU, le PNUD, pour imaginer, construire et mettre en œuvre des solutions alternatives mobilisant des moyens financiers et humains considérables au service de la paix et du bien-être des populations plutôt que d’alimenter les profits des marchands d’armes, du lobby militaro industriel et la perpétuation de rapports de dominations vestiges du passé.
 
La France en est-elle capable ? Elle peut y contribuer de manière importante. Mais, le président de la République et le gouvernement n’y mettent pas les moyens. Ils sont figés dans la même logique qui les conduit à refuser actuellement toute discussion multilatérale au sein des Nations Unies sur le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) entré en vigueur le 22 janvier 2021.
 
La France et l'Europe, dans le cadre des Nations Unies, peuvent contribuer à résoudre cette crise qui menace la paix et la sécurité, au-delà de la région sahélienne. Il faut, pour cela, faire preuve de désintéressement, d’un minimum de sagesse, de respect de l’histoire des peuples concernés, d’association des populations à la construction des solutions et dans le respect de la Charte des Nations Unies, du droit international et des droits humains dans le cadre d’un multilatéralisme actif. Dans le même temps les troupes françaises devraient se désengager du Sahel.
 
A Paris, le 23/02/2021
Le Mouvement de la Paix
 
 
 
[1] Le Sahel (« La vague », en arabe), vaste croissant de 14 pays africains. Il s'étend de l'Atlantique (Sénégal, Mauritanie) à la mer Rouge (Djibouti, Érythrée, Somalie). Dans l’œil du cyclone on trouve le Mali (en guerre), le Burkina Faso (en guerre), le Tchad (en guerre), l'Éthiopie (troubles ethniques et sociaux), le Niger, le Nigeria, et le Soudan (troubles politiques violents et problèmes économiques).
 
[2] AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), MUJAO (Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest), d’Ansar-ed-Dine, Al-Mourabitoune et le Front de libération du Macina. En mars 2017, ces mouvements se sont regroupés au sein du Groupe pour le Soutien de l’Islam et des Musulmans (GSIM). Groupes auxquels il faut ajouter l’État Islamique (EI), au Sahel ; Boko Haram et Ansar-Oul-Islam au Burkina lui ont fait allégeance.
 
[3] Quand on parle de militarisation de l’Afrique, il ne faut pas oublier l’Otan qui -via les USA et l’« Africa Command » (Africom) - disposerait d'au moins 34 sites sur le continent d'après le magazine The Intercept cité par Ifri (janvier 2020).  

Publié dans Sahel

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